Quand jouir fait mal ou L’orgasme douloureux

Dr Jean-Pierre Graziana
Uro-andrologue, Clinique Mutualiste de Lorient – Trésorier de la SFMS

 

La douleur survenant au moment ou après le plaisir sexuel, longtemps négligée, constitue une problématique clinique à la croisée de la sexologie, de l’urologie fonctionnelle et de la médecine de la douleur. Qu’elle touche l’homme ou la femme, elle interfère avec la qualité de vie sexuelle et psychique. Cette revue aborde les principales causes masculines — urgences et éjaculations douloureuses — ainsi que la dysorgasmie féminine, encore peu explorée.

Urgences douloureuses masculines : quand le plaisir vire à la douleur

Certaines urgences urologiques surviennent à la suite de rapports sexuels intenses ou répétés.

Thrombophlébite du pénis (maladie de Mondor)

Elle se manifeste par un œdème, un érythème et surtout un cordon induré douloureux sur le dos de la verge. Le diagnostic est clinique.
Le traitement repose sur les anti-inflammatoires locaux, parfois associés à un anticoagulant si une thrombopathie est suspectée. L’évolution est favorable en 4 à 8 semaines.
(Simpson & Haq, Urology News, 2019)

Fracture du corps caverneux

Elle survient lors d’un rapport avec craquement audible, douleur aiguë et détumescence immédiate. L’intervention chirurgicale est impérative dans les 24 h pour éviter les séquelles érectiles ou les déformations péniennes.
Les positions les plus à risque sont la levrette et la position du missionnaire lorsque le pénis sort et heurte le pubis ; la plus sûre reste la femme au-dessus.
(El-Assmy & El-Tholoth, Int J Impot Res, 2011)

L’éjaculation douloureuse : un symptôme sous-estimé

Longtemps considérée comme anecdotique, elle concernerait 1 à 4 % des hommes, souvent jeunes et soumis à un stress important.
La douleur peut siéger à la verge, au périnée, au rectum ou aux testicules, et durer de quelques secondes à plusieurs minutes.
(Delavièrre, Prog Urol, 2014)

Les principales causes

  • Hyperplasie bénigne de la prostate (HBP) : la prévalence atteint 25 %, proportionnellement à la sévérité des troubles mictionnels.
  • Cancer de la prostate : après chirurgie ou radiothérapie, jusqu’à 30 % des patients décrivent une douleur orgasmique, souvent régressive avec le temps. La tamsulosine apporte un soulagement dans près de 77 % des cas.
    (Barnas, BJU 2004 ; Capogrosso, World J Men Health 2017)
  • Infections urinaires ou sexuellement transmissibles, en particulier prostatites ou urétrites.
  • Causes neurologiques : syndrome de douleur pelvienne chronique, névralgie pudendale, neuropathie diabétique.
  • Causes médicamenteuses : antidépresseurs IRS et tricycliques provoquant des contractions spastiques périnéales.
  • Facteurs psychologiques : stress, anxiété, antécédents traumatiques ou pression de performance.
  • Causes obstructives : calculs des vésicules séminales ou obstruction du canal éjaculateur.
    (Christodoulidou et al., Scand J Urol, 2017)

Le bilan

Il comprend : examen urogénital avec toucher rectal, ECBU et PCR à la recherche d’agents infectieux, échographie ou IRM pelvienne, spermoculture, débitmétrie, et évaluation psychologique si aucune cause organique n’est retrouvée.

La prise en charge

La tamsulosine et l’alfuzosine restent les traitements de référence pour leur effet antispasmodique.
Un traitement antibiotique est indiqué en cas d’infection prouvée.
L’adaptation des antidépresseurs responsables, la physiothérapie périnéale et la neuromodulation (stimulation tibiale ou sacrée, TENS) sont des options complémentaires.
Dans les formes chroniques, une approche multidisciplinaire associant urologue, kinésithérapeute, sexologue et psychologue est essentielle.

Dysorgasmie féminine : une douleur silencieuse

La douleur survenant à l’orgasme féminin, ou dysorgasmie, reste très peu documentée dans la littérature. Ses causes sont multiples : endométriose, anomalies pelviennes ou ovariennes, infections (PID, IST), neuropathies, troubles psychologiques ou effets médicamenteux.
Le bilan est avant tout clinique et gynécologique.
Le traitement repose sur la prise en charge étiologique (chirurgicale, médicale ou psychothérapeutique) ; dans les cas idiopathiques, une approche pluridisciplinaire intégrant kinésithérapie pelvienne, TCC, acupuncture ou sexothérapie est recommandée.
Une étude turque récente montre d’ailleurs que les positions où la femme est au-dessus sont associées à moins de douleurs et une meilleure satisfaction sexuelle.
(Beerten & Coteur, Women’s Health, 2024)

Conclusion

Les douleurs orgasmiques ou éjaculatoires, qu’elles soient masculines ou féminines, méritent d’être mieux reconnues et explorées. Si certaines relèvent d’urgences traumatiques, la majorité nécessitent une approche fonctionnelle, psychocorporelle et multidisciplinaire.
L’écoute du patient, la recherche étiologique rigoureuse et l’adaptation thérapeutique permettent souvent d’améliorer significativement la qualité de vie sexuelle.

Bibliographie sélectionnée

  1. Simpson R, Haq A. Penile Mondor’s disease. Urology News 2019 ; 23(2).
  2. El-Assmy A, El-Tholoth. Int J Impot Res 2011.
  3. Delavièrre. Progrès en Urologie 2014.
  4. Barnas J. BJU Int 2004.
  5. Capogrosso P. World J Men Health 2017.
  6. Christodoulidou M et al. Scand J Urol 2017.
  7. Beerten S, Coteur K. Women’s Health 2024.

« Il n’est de plaisir sans une certaine douleur, ni de douleur sans un certain plaisir. » — Gunaratana