Aspects psychopathologiques des anéjaculations : analyse de quatre observations cliniques

Auteurs : Aïda Sylla, Ndèye Dialé Ndiaye-Ndongo, Lamine Fall, Serigne Maguèye Guèye, Momar Guèye

adresse : Dr Sylla Aïda, CHNU de FANN, service de psychiatrie, BP : 5952 dakar-FANN, Sénegal

e-mail : mbenendiaye@yahoo.fr

Résumé

 

Au Sénégal, les troubles sexuels posent un réel problème de diagnostic et surtout de prise en charge. Plusieurs paramètres sont liés aux difficultés rencontrées devant ce type de troubles: le manque d’informations des patients, les tabous sexuels, et la rareté supposée de ces affections.

Des patients présentant une anéjaculation sans étiologie organique ou iatrogène ont été adressés au service de psychiatrie en consultation de soutien psychologique. Les entretiens réalisés ont permis de déceler des facteurs psychosociaux communs par rapport aux circonstances précédant et entretenant l’anéjaculation psychogène. Le premier facteur commun est la précocité des relations sexuelles avant la puberté chez tous les patients. Par ailleurs, nous avons noté la crainte d’un inceste éventuel avec un sentiment de culpabilité, une certaine valorisation de l’anéjaculation par les partenaires qui pourraient être des facteurs intervenant dans le renforcement du trouble. La mise à disposition d’un espace d’écoute associée à des réaménagements s’inspirant de l’approche cognitivo comportementale a pu apporter un soulagement aux patients.

Introduction

La réponse sexuelle masculine est organisée selon un cycle avec 4 stades : le désir, l’excitation, l’orgasme et la phase résolutive. L’orgasme et l’éjaculation représentent la phase finale de la réponse sexuelle. L’éjaculation normale se définit comme l’ensemble des phénomènes neuromusculaires conditionnant la formation du sperme et son éjection hors de l’urètre à la fin de l’acte sexuel chez l’homme.

L’anéjaculation est une impossibilité d’éjaculer du sperme par le méat urétral en dépit d’une érection normale et de stimulations appropriées.

On distingue 2 grands types d’anéjaculation : l’anéjaculation sans orgasme (anorgasmie) et l’éjaculation rétrograde ou sèche avec orgasme (9).

Les anéjaculations d’origine organique sont en rapport avec une cause connue qui peut être iatrogène, neurologique ou autre.

Les anéjaculations d’origine psychogène sont souvent associées à une anorgasmie. Il peut alors exister une éjaculation en dehors des rapports sexuels (émission nocturne, masturbation). Cette émission de sperme peut permettre une fécondation in vitro. (6)

Des techniques thérapeutiques plus ou moins efficaces sont utilisées dans d’autres pays pour soulager les patients de leur infertilité. (4, 5).

Au Sénégal, les troubles sexuels posent un réel problème de diagnostic et surtout de prise en charge. Plusieurs paramètres sont liés aux difficultés rencontrées devant cette affection : le manque d’informations des patients, la pauvreté des moyens d’exploration, les tabous sexuels, et la rareté de l’affection. Par ailleurs l’anéjaculation paraît entraîner moins de souffrance que l’éjaculation prématurée ou le dysfonctionnement érectile. En effet, elle semble moins visible, moins gênante pour la partenaire.

Des patients présentant une anéjaculation sans étiologie organique ou iatrogène nous ont été adressés par le service d’Urologie pour une évaluation et une prise en charge psychologique. Les entretiens réalisés ont permis de déceler des facteurs psychosociaux communs par rapport aux circonstances précédant et entretenant l’anéjaculation.

Observations

Observation n°1 :

Oumar est un étudiant à l’université âgé de 26 ans. Il est célibataire sans enfant. Il consulte pour absence d’orgasme et d’éjaculation lors des rapports sexuels. Il éjacule au cours de rêves érotiques.

Selon l’urologue qui nous le réfère, il ne présente aucun trouble de la miction et l’examen physique est strictement normal.

Nous avons noté chez lui une anxiété. Il arrive  chez à peine à s’exprimer devant le médecin. Au fil des entretiens, il a pu révéler avoir eu ses premières expériences sexuelles autour de l’âge de 4 ans, avant sa circoncision et sa puberté. Ses « partenaires » étaient des amies de sa grande sœur et d’une de ses tantes maternelles, toutes plus âgées que lui. Il éprouve une grande culpabilité par rapport à ces expériences et dit : «  je me sens comme un jouet sexuel que ces filles ont utilisé : elles venaient me demander de monter sur elles et s’en allaient après avoir fini. Qu’est- ce qui m’empêcherait de le faire avec ma propre sœur d’autant plus que je l’ai fait avec ma tante ! ». Il faut noter que ce patient a encore à ce jour toujours des partenaires sexuelles plus âgées que lui. Il dit ne pas pouvoir s’empêcher de penser à ses premières expériences lors de ses rapports sexuels.

Par ailleurs, il dit avoir beaucoup de succès auprès des filles car est considéré comme un amant infatigable. Il faut noter qu’il ne fait jamais le premier pas pour une relation, ce sont les filles qui viennent vers lui.

L’abstinence qui lui a été prescrite pour 15 jours n’a pas été respectée.

La verbalisation de la culpabilité « incestueuse » a semblé avoir une action cathartique car le patient nous a révélé avoir eu sa première éjaculation lors d’un rapport sexuel. Il a continué à éjaculer normalement lors des rapports sexuels suivants.

Observation n°2 :

Ousmane est un homme de 30 ans, marchand ambulant adressé par l’urologue pour anéjaculation sans étiologie retrouvée. Il éjacule lors de rêves érotiques. Il est célibataire et a de nombreuses partenaires sexuelles. En effet, comme il le dit lui-même avec une certaine fierté, les filles avec lui sont satisfaites à coup sûr. Il a eu des contacts sexuels très tôt avant la puberté avec une grande cousine qui l’embrassait et lui demandait de se frotter contre elle. Il se sent très coupable pour cette aventure. L’abstinence prescrite pour quinze jours n’a pas été respectée. Le patient n’a toujours pas retrouvé d’éjaculation pendant les rapports sexuels. Il continue à venir régulièrement aux rendez-vous. Il dit se sentir mieux avec le suivi même s’il ne retrouve pas encore d’éjaculation normale.

Observation n°3 :

Assane est un homme de 27 ans, sans emploi. Référé par le service d’urologie pour anéjaculation psychogène. Il a des éjaculations lors des rêves. Il a eu ses premiers contacts sexuels vers l’âge de 8 ans au village. Il nous révèle une notion de sexualité collective avec des filles et garçons du même groupe d’âge. Dans le groupe il y aurait eu des relations de nature homosexuelles et même zoophiliques. Assane éprouve une grande gêne et beaucoup de culpabilité par rapport à ce passé. Il dit craindre des dérapages incestueux qui ont pu avoir lieu lors de ces « orgies » car il a des demi sœurs du même âge que lui et il était possible qu’elles se soient retrouvées dans ce groupe d’âge : ces activités s’étant souvent déroulées dans la pénombre, il n’est aujourd’hui sûr de rien.

En cours de suivi, ce patient qui respectait ses rendez-vous a eu un traitement pour une tuberculose pulmonaire et ensuite un traitement antidépresseur (IRS) à cause de la prégnance des idées de culpabilité par rapport à son passé Il a retrouvé une éjaculation normale et est aujourd’hui père d’une fillette. Il travaille actuellement comme agent de sécurité. La mère de sa fille a néanmoins 10 ans de plus que lui. Revu récemment, il a eu une promotion au niveau professionnel.

Observation n°4

Ibou est un homme de 30 ans, cordonnier, marié depuis 2 ans. Son anéjaculation a été découverte lors d’une consultation pour stérilité du couple. Il existe une éjaculation lors des rêves et de la masturbation. Il aurait eu ses premières relations sexuelles complètes après son mariage. Néanmoins il dit avoir entretenu des relations incomplètes avec la fille de son tuteur. Il se retenait énormément pour éviter « l’irréparable » avec cette fille.

Son épouse est préoccupée par un fort désir d’enfant. Les connaissances de ce couple sur le fonctionnement des organes sexuels ne sont pas très claires. Nous avons eu avec eux des séances de questions-réponses sur le sujet. La période d’abstinence de 15 jours prescrite a été respectée par le couple. Elle a été suivie par une seconde période de masturbation réciproque sans pénétration sexuelle avec une éjaculation notée à chaque fois. A la reprise des relations sexuelles complètes, le couple nous a signalé une légère amélioration : malgré l’existence d’une éjaculation, le mari fait part d’une insatisfaction persistante. Il se plaint par ailleurs d’une fatigabilité et des sentiments dépressifs ont été mis en évidence chez lui. Il s’est amélioré avec un traitement antidépresseur par IRS. Le couple dit avoir une sexualité satisfaisante et a interrompu le suivi.

Discussion

Les anéjaculations sans cause organique, encore appelées anéjaculations psychogènes, constituent environ 90% des anéjaculations. Par conséquent, la prise en charge psychologique doit être systématique pour Colombeau. (1)

Les consultations de nos patients étaient surtout motivés par le besoin de comprendre leur trouble, mais aussi par le désir d’enfants. Delavierre trouvait dans des proportions différentes ces mêmes motifs qui amènent au diagnostic de l’anéjaculation. (3)

Il s’agit surtout d’une affection de l’adulte jeune. Les patients que nous avons reçus ont entre 26 et 30 ans. Dans la littérature, les différents cas publiés ont entre 20 et 40 ans (1, 3). Cette tranche d’âge est dans nos régions particulièrement exposée aux différents facteurs de stress en général. Réussite dans les études, recherche d’un emploi, vie familiale sont autant de facteurs qui contribuent à l’entretien d’une situation d’angoisse. Ces facteurs sont retrouvés par Corona (2) qui lie les difficultés d’éjaculation à un excès de contrôle du plaisir couplé à une crainte de l’échec. Cet excès de contrôle peut être associé à des conflits intrapsychiques non résolus.

Les observations rapportées par Colombeau (1), montrent aussi que la profession peut jouer un rôle dans l’évolution d’une anéjaculation. D’autres auteurs comme Corona (2) et Rowland (9) trouvent que les stresseurs de vie, en distrayant le sujet des émotions agréables, contribuent à renforcer les troubles de l’éjaculation.

Le sentiment de culpabilité résultant de l’idée d’inceste au cours des premières expériences sexuelles est assez présent comme facteur associé à l’anéjaculation psychogène. L’inceste est prohibé par presque toutes les cultures. Son interdit marque la civilisation en ce sens qu’il distingue l’humanité des animaux. La transgression de cet interdit touche l’individu jusque dans ses structures psychiques les plus profondes. Rien que des idées incestueuses, surtout fils-mère, témoignent pour certains auteurs de pathologie mentale schizophrénique (10).

Par ailleurs, lors des premières expériences sexuelles, certains de nos patients étaient encore impubères donc incapables d’éjaculer. Cette notion d’anéjaculation a donc pu être corrélée au coït reproduisant ainsi de manière inconsciente le même processus à l’âge adulte. Cette première relation a au moins une des caractéristiques du traumatisme qui est la répétition. En effet, plusieurs des patients que nous avons reçus ont continué à reproduire inconsciemment plusieurs circonstances symboliques du premier rapport sexuel : partenaires plus âgées, demande émanant de la partenaire, absence d’éjaculation…

Par ailleurs, l’anéjaculation a aussi pu être renforcée par le fait que le patient se retrouvait «amant infatigable » et tirait ainsi un bénéfice secondaire de la situation pathologique de départ.

L’abstinence sexuelle que nous avons prescrite en nous inspirant de l’approche comportementale et cognitive prescrite (se détacher du coït, ressentir autrement ses organes) sert à briser le cercle du renforcement de l’anéjaculation. Comme les autres problèmes sexuels, l’anéjaculation s’apparente aux phobies en raison de l’angoisse et de l’évitement qui l’entourent.

Les sujets atteints présentent dans leur passé un traumatisme sexuel vécu ici avec beaucoup de culpabilité voir du dégoût.

La thérapie comme le décrit Jarousse (7) commence par un retour à la sensibilité cutanée et on suggère au patient de prendre du plaisir uniquement au niveau cutané par des caresses mutuelles, partagées, dans une ambiance détendue, avec interdiction d’avoir des rapports sexuels ou des caresses sexuelles. Ce premier temps permet au couple de sortir de sa transaction  problématique et de réduire l’anxiété de performance qui est souvent liée en boucle de rétrocontrôle négatif aux problèmes sexuels.

Dans un deuxième temps on suggérera des caresses sexuelles et dans un troisième temps seulement des rapports sexuels.

Pour l’anéjaculation, on peut aussi préconiser une masturbation progressive avec éjaculation au dernier moment dans le vagin surtout pour les cas où l’éjaculation n’existe que lors des rêves ou de la masturbation. Il faut remarquer la difficulté liée à ces prescriptions pour les patients célibataires qui, du fait du contexte social, ne pouvaient venir avec leur partenaire. La prescription d’abstinence n’a pas été respectée dans plusieurs cas et nous nous sommes posés des questions sur la place de cette transgression dans le processus thérapeutique. En fait, il s’agissait aussi d’une désobéissance à un ordre d’une autorité féminine, peut être la première depuis le traumatisme infantile.

L’espace d’écoute et les techniques comportementales nous paraissent pour le moment des alternatives pouvant soulager les patients avec une anéjaculation psychogène.

Conclusion

Les anéjaculations psychogènes que nous avons rencontrées concernaient des adultes jeunes qui ont eu des pratiques sexuelles avant la puberté. Ces pratiques comportent certains équivalents incestueux à l’origine d’une souffrance et d’une culpabilité.

Cependant l’anéjaculation elle-même semble parfois valorisée par les partenaires sexuelles.

L’écoute, l’utilisation de certains procédés thérapeutiques comportementaux, de même que la prescription de psychotropes antidépresseurs au besoin, a procuré un mieux être aux patients.

Ces troubles devraient être mieux connus par les praticiens mais aussi le public afin qu’une réflexion puisse être menée dans le sens d’une amélioration de leur prise en charge, à l’image des dysfonctionnements érectiles.

Références

  1. Colombeau P.Une anéjaculation vraie ? Le concours Médical, 1988, 2 : 102
  2.  Corona G., Mannucci E. Petrone L.,. Fisher A. D., Balercia G., DE Scisciolo G, Pizzocaro A. , Giommi R., Chiarini V., Forti G., Maggi M. Psychobiological Correlates of Delayed Ejaculation in Male Patients With Sexual Dysfunctions.  Journal of Andrology, 2006,  27: 453-458
  3. Delavierre D., Hapi M.H., Nsabimbona B. Diagnostic d’une anéjaculation à propos de 72 patients. Andrologie, 2004, 14 : 164-170
  4. Denil J., Kupker W., Al Hasani S. Successful combination of transrectal electroejaculation and intracytoplasmic sperm injection in the treatment of anejaculation. Hum Reprod. 1996  11 : 1247 – 1249.
  5. Everaert k. , Oosterlinck W. Diagnostics and treatment of psychosocial induced anejaculation or anorgasm by vibratory stimulation. Acta. Urol. Belg. , 1997, 65: 59-61.
  6. Hovav Y, Kaftka I, Horenstein E, Yaffe H. Prostatic massage as method for obtaining spermatozoa in men with psychogenic anejaculation. Fertility Sterility 2000, 74: 184-185
  7. Jarousse N., Poudat F.X. Traitement comportemental de l’anéjaculation. Cahiers de sexologie clinique, 1987, 13: 39-44
  8.  Meacham R. Management of psychogenic anejaculation. J Androl. 2003 24:170-171.
  9. Rowland D, McMahon CG, Abdo C, Chen J, Jannini E, Waldinger MD, Ahn TY. Disorders of orgasm and ejaculation in men. J Sex Med. 2010 7(4 Pt 2):1668-1686.
  10.  Schlesinger LB  Adolescent sexual matricide folowing repetitive mother-son incest .J-Forensic-Sci 1999 Jul; 44(4) 746-749