Sandrine Attalah, Beyrouth, Liban
Connaissez-vous Lilith ? La première femme d’Adam ? Non, rassurez-vous, il ne s’agit point la d’un cours de théologie mais d’une simple réflexion sur le statut des femmes dans les médias. Mais qui est donc Lilith ? On nous a tant rebattu les oreilles avec Eve, son serpent et sa pomme mais personne n’a daigné nous avouer l’existence de Lilith, sans doute la première féministe.
En effet, Lilith, contrairement à Ève, que la Bible présente comme ayant été conçue à partir d’une côte d’Adam afin qu’elle soit dépendante de lui et donc soumise, aurait été formée à partir d’argile comme Adam et serait donc son « égale ». Cela placerait la femme dans un statut, non plus de subordination, mais d’égalité face à l’homme. Il est dit selon divers textes hébraïques¹ʼ²puis longtemps après dans le dictionnaire historique de la bible³ publié par l’exégète et historien Augustin Calmet qu’entre Adam et Lilith naquit un différend dont le prétexte serait la manière dont ils faisaient l’amour. Lilith désirait chevaucher son amant, position qui ne seyait guère à ce dernier qui se sentait dominé. De plus selon la légende, Lilith, maitresse de son corps pratiquait la contraception, malgré la désapprobation d’Adam. Lilith qui revendiquait l’égalité et l’équivalence des droits au sein du couple, refusait de se soumettre inopinément à Adam. A l’origine de conflits incessants, Lilith aurait été « substituée » quelques temps plus tard par Eve, sous-produit d’Adam, femme-mère et obéissant à l’homme. Eve, bien moins intelligente que Lilith, ne risquait pas de se révolter contre les exigences de son homme. Mais elle réussit quand même à semer le trouble au sein des jardins d’Eden. Eve la femme-objet, Eve la tentatrice entraina la perte d’Adam…
Des milliers d’années plus tard, Eve trône toujours dans nos écrans télés, nos panneaux publicitaires et malheureusement dans nos inconscients inondés de stéréotypes sexuels inopérants. Décolletés pigeonnants, chevelures luxuriantes, lèvres pulpeuses font la une des médias. De nombreux vidéoclips et plusieurs films utilisent le corps des femmes dans un but ornemental. Dans ces productions, actrices et figurantes sont engagées pour servir de décoration aux côtés d’un chanteur ou d’un personnage viril.
S’il n’est point problématique pour les femmes d’être représentées comme belles et sexy, cela le devient lorsque la quasi-totalité des images de femmes les résument à des objets passifs de plaisir sexuel. Cette sexualisation à outrance de la femme influence significativement notre perception de la sexualité et des relations entre les sexes. De plus, cette chosification et la déshumanisation du corps féminin ont pour effet de conférer aux hommes une supériorité humaine sur les femmes ravalées à l’animalité. Ceci ne fait que renforcer l’idée des femmes qu’elles sont des objets sexuels et non des êtres humains à part entière.
Cette hypersexualisation des femmes a des conséquences sociales négatives autant pour les hommes que pour les femmes. En effet, elle légitime et pousse à la violence contre les femmes et les jeunes filles. Elle incite ainsi au harcèlement sexuel et aux comportements misogynes tout en augmentant les taux de mauvaise estime de soi et les troubles alimentaires chez les femmes et les jeunes filles. Enfin en dessinant une sexualité surnaturelle et irréaliste, elle diminue la satisfaction sexuelle chez les hommes et les femmes.
Le monde sexiste des médias impose également une image corporelle fictive, qui dénature le rapport des femmes à leur corps et les convie à cultiver une identité narcissique. Les stéréotypes proposés formatent et uniformisent le corps des femmes, tout en entraînant un refus irrationnel du vieillissement et en limitant l’identité des femmes à leur pouvoir de séduction. Le féminin est alors cantonné au «paraître», tandis que le masculin est plutôt campé sous le signe du «faire». Un grand dilemme se pose alors à la femme orientale qui en plus d’être sexy doit faire vœu de chasteté jusqu’au mariage. Tant d’impératifs paradoxaux s’imposent aux femmes.
Ainsi le sexe s’affiche partout mais ne doit surtout pas être consommé. Comment résoudre cette équation impossible ? En effet, si les hommes se doivent d’être actifs sexuellement et performants, et les femmes se doivent d’être des bombes sexuelles vierges, il manque nécessairement un membre à notre équation ! Les femmes orientales, souvent écartelées entre leur épanouissement dans un monde sexualisé à outrance et leur respects des traditions ; leur crainte de perdre leur amoureux du moment si elles ne le satisfassent sexuellement et leur hantise de ne pas trouver un époux si elles sont « déflorées », en viennent parfois à adopter des comportements sexuels alternatifs (sodomie, fellation, etc…) et souvent même à les proposer… Il est curieux de constater combien la sodomie est une chose courante dans nos sociétés « conservatrices », tandis qu’elle ne conserve qu’une place assez particulière et marginale pour les couples occidentaux. Par ailleurs, si le coït anal préserve une certaine virginité vaginale, il présente un haut risque de transmission d’IST (infections sexuellement transmissibles), d’autant que l’usage du préservatif est loin de s’être généralisé dans nos contrées.
Celles qui tout au long de leur parcours prémarital, perdent cet hymen tant valeureux par amour, par contrainte morale, ou même parfois accidentellement optent bon gré mal gré pour la chirurgie, dans le but d’éviter la mort sociale qui plane au-dessus de leur tête comme une épée de Damoclès moralisatrice. Ayant en tête tant de mariages annulés, de jeunes femmes répudiées et de scandales familiaux du fait même d’un hymen manquant à l’appel, cette solution leur semble être leur seule planche de salut. Nous vivons de plus en plus dans une société moyen-orientale où tout se joue sur l’apparence et où l’on a de plus en plus de mal à discerner l’original de l’artifice…Tout passe sous les mains expertes des plasticiens, des nez aquilins aux lèvres pulpeuses et des seins siliconés aux hymens « rénovés ».
Celles qui échappent à l’engrenage de la virginité, n’échappent point à la malencontreuse banalisation superficielle et simpliste du X faisant fi de la complexité de la sexualité féminine. On nous expose une pseudo-sexualité qui rend d’autant plus ardue la quête de notre authentique sexualité personnelle. Les médias qui rythment nos vies nous présentent un monde saturé de sexualité dans lequel la vie quotidienne est hypersexualisée, le corps de la femme construit comme un objet de jouissance, offert à tous les regards et où la sexualité est affaire de performance. S’introduit alors dans nos inconscients un clivage entre le corps et l’affectivité, clivage qui limite le désir des femmes au désir de l’Autre et renforce les stéréotypes sexistes de la femme soumise. La sexualité soi-disant «libre» véhiculée par les médias ne comporte ni respect ni mutualité. Le contexte de violence, de domination ou de contrainte passe avant la recherche du plaisir réciproque. En cela, les médias participent activement à une dégradation des rapports affectifs et amoureux.
Et comme les relations se construisent à deux, les hommes sont aussi pris au piège. Mais dans un piège bien différent, celui de la course effrénée à la performance, « dopé » par les médias, les films pornos, les pilules miraculeuses disponibles sur le marché de la consommation illimitée et obligée. La performance sexuelle devient alors un but en soi, diminuant ainsi la qualité de la relation interpersonnelle entre les partenaires. Ce culte de la super-puissance a ses effets toxiques perceptibles sur la vie sexuelle masculine: l’ombre de l’échec, planant sur chaque nouveau record à battre, y apporte une dose d’angoisse non négligeable. De plus, endosser le rôle du superman du sexe passant un test en permanence sabote l’établissement de cette connexion intime qui laisse s’installer la confiance, une des conditions sine qua non pour envisager sereinement une rencontre sexuelle. La volonté de tout maîtriser, d’attendre de son propre corps qu’il se plie au moindre de nos désirs, le sentiment de toute-puissance sexuelle obsède nombre de nos hommes, jusqu’à ce qu’ils en paient le prix. En effet, l’homme, dans sa crainte de ne pas être à la hauteur, se focalise sur sa performance et devient spectateur de ses exploits au lieu de vivre un moment magique de partage et de plaisir.
Comment aider alors ces femmes qui se prennent pour des objets de plaisir et ne connaissent jamais le leur et ces hommes qui se veulent expérimentés sexuellement mais qui méconnaissent tout de l’anatomie intime du sexe féminin ? On ne peut que parler, parler réellement, crument de sexe. Parler du sexe, du vrai sexe, de cet instant de communication et d’intimité intense. Parler de sexe, non dans le but de provoquer, de plaire, de séduire, mais dans le but d’instaurer un minimum d’éveil sexuel. Parler de plaisir partagé, de sentiments et d’émotions positives. Il faut parler aux femmes et aux hommes, aux jeunes et aux moins jeunes afin de les aider à développer un esprit critique face aux messages transmis, et ce afin de leur permettre de résister et de saisir l’impact de ces représentations réductrices sur leurs propres imaginaires et comportements.
Lilith, il est grand temps que tu reviennes, afin que les femmes comprennent enfin qu’elles sont maitresses de leur corps et non maitresses soumises des hommes. Lilith, les femmes et même leurs hommes ont besoin de toi.
Références
- Le Talmud de Babylone reprend certaines légendes juives — supprimées dans la Bible canonique (sauf dans la Bible TOB, la Bible de Jérusalem, la Bible Darby et celle d’André Chouraqui (Ésaïe chapitre 34 verset 14) ou l’on y fait une brève allusion — Lilith serait, à l’Eden, la première femme et donc la première compagne d’Adam.
- L’Alphabet de Ben Sira ou le « midrach », rédigé vers le Xe siècle, met vraiment en scène cette première Eve. Le nom qu’il lui prête désormais, Lilith est le nom propre de la première femme d’Adam, prototype de la femme révoltée, refusant la soumission, exigeant une place égale à celle de l’homme
- Augustin Calmet, Dictionnaire historique, critique, chronologique, géographique et littéral de la Bible, Paris, Emery, Saugrain et Pierre Martin, 1722, tome 1, p. 484