La consultation psychologique préalable à l’implant d’une prothèse pénienne.

Christian MORMONT, Liège, Belgique
Docteur en psychologie et professeur honoraire (psychologie clinique) de l’université de Liège
CETISM (Centre d’Etude et de traitement des Insuffisances Sexuelles Masculines), Service d’Urologie, CHU, B-4000 Liège (Belgique)

Dans le cadre du CETISM (Centre d’Etude et de Traitement des Insuffisances Sexuelles Masculines, service d’urologie, CHU de Liège), l‘implant d’une prothèse pénienne est proposé au patient impuissant

  • 1° s’il est important pour lui de récupérer ses capacités sexuelles,
  • 2° si la cause de la dysérection paraît irréversible
  • 3° et si les autres traitements ont échoué.

La solution prothétique n’est donc envisagée qu’en dernier ressort, après que l’homme ait sollicité aides et avis variés, et ait rencontré aussi plusieurs médecins. Ceux-ci ont fait l’anamnèse et le diagnostic du trouble érectile, ont envisagé et testé diverses options thérapeutiques et, in fine, ont fourni les informations médico-chirurgicales et techniques nécessaires à propos de la prothèse. Au cours de ce processus, et bien qu’il garde le pouvoir de décision, l’homme risque, à des degrés divers, de se trouver réduit à son trouble, et dépendant de ceux qui peuvent le soigner. Plus spectateur qu’acteur de ce qui lui arrive, il se voit confirmé dans l’impuissance qu’il expérimente et qui l’amène devant les thérapeutes. Impuissant vis-à-vis de son pénis, impuissant vis-à-vis de la femme, diminué par rapport à lui-même et aux autres, il devient objet de traitement. Cette instrumentalisation inévitable et sans doute nécessaire dans le cadre médical habituel pourrait toutefois se révéler contre-productive au niveau de l’intégration de la prothèse à la sexualité de l’homme.

C’est ici que la consultation psychologique pré-implantatoire, qui se limite à une seule séance, trouve sa place et sa fonction, même si les hommes intéressés par une solution aussi technique que l’implantation d’une prothèse pénienne ne sont pas, a priori, les plus enclins à l’introspection ou à l’analyse psychologique. Ainsi, il n’est pas rare qu’ils manifestent leur étonnement ou leur résignation agacée face à la consultation psychologique qui leur paraît superflue et dont ils redoutent qu’elle ne soit décisive : le psychologue va-t-il autoriser ou interdire le recours à la prothèse ? Cette crainte n’est pas fondée. Au contraire, le psychologue insiste sur l’autodétermination de l’homme qui est, et quelle que soit l’importance des autres personnes impliquées (et au premier chef, la partenaire quand elle existe), le seul à pouvoir décider de ce qu’il veut. C’est ainsi, qu’au départ, et bien que l’on soit amené à revenir sur ce point en cours d’entretien, il est laissé à la discrétion du patient de se présenter seul ou accompagné de sa partenaire.

La consultation psychologique pré-implantatoire pourrait n’être qu’une précaution destinée à détecter les cas de contre-indication psychologique à l’implant d’une prothèse pénienne. Cette fonction, non négligeable, est pourtant accessoire non seulement parce que les contre-indications psychologiques franches sont rares mais surtout parce que la rencontre avec l’homme qui consulte en cette circonstance peut ouvrir sur des perspectives qui dépassent le seul intérêt pragmatique de recueillir ou de dispenser des informations complémentaires, de vérifier la bonne compréhension du traitement, de faciliter la réflexion et l’expression.

En fait, la consultation psychologique a pour spécificité d’inscrire la dysérection et son traitement prothétique dans le cadre plus large, que l’on pourrait qualifier d’humaniste, de la personne humaine en relation. Alors que la consultation du médecin, qui doit être rentable, est consacrée aux aspects médico-chirugicaux tels l’histoire et le diagnostic du trouble, l’examen clinique, les examens complémentaires, les traitements possibles et leurs indications, les précautions légales et les influences concrètes de facteurs circonstanciels (dont le rôle de la partenaire), la consultation psychologique, elle, va donner plus de place au sujet en tant que tel. C’est-à-dire que l’intérêt du psychologue va porter davantage sur l’histoire de cet homme et non seulement sur l’histoire de son trouble, sur l’univers relationnel de cet homme et non seulement sur ses relations sexuelles, sur les espérances et les projets de vie de cet homme et non seulement sur son espoir de guérison.

Le psychologue prend le temps de détailler la manière dont l’homme comprend et vit son trouble érectile : qu’a-t-il intégré des informations qui lui ont été données ? reste-t-il des questions en suspens ? quelles questions n’a-t-il pas osé poser ? quelle place la sexualité a-t-elle dans sa vie ? qu’a-t-il essayé comme autre traitement et comment en a-t-il vécu l’échec ? qu’escompte-t-il retrouver grâce au traitement ? qu’en pense la partenaire et quelle est son attitude ? quel est son projet de vie ? comment se sent-il dans sa peau ? quelles sont ses ressources et ses fragilités mentales ? Il faut bien voir que ces questions appartiennent à un double registre: d’une part, elles ont un versant objectif (elles fournissent des informations concrètes nécessaires), d’autre part, elles ont une composante subjective dans la mesure où elles abordent l’expression de l’expérience et de l’être.

Alors, comment envisager et opérationnaliser cette consultation psychologique de manière à tendre vers son objectif que l’on a qualifié d’humaniste tout en remplissant les missions « techniques » qui lui incombent?

Comment mettre le client-patient au centre de la situation et en mesure d’en assumer le contrôle ? Comment donner de l’importance et de la valeur à ce que l’homme a à dire de lui-même, à ce qu’il décide pour lui-même, au projet qu’il a pour sa propre vie, aux désirs et espoirs qui l’animent ?

La réponse semble aller de soi : en accordant considération et priorité à ce que cet homme exprime et attend. Le client-patient s’écarte rarement de l’essentiel ; il suffit de le suivre. Mais pour cela, le psychologue doit renoncer à ses propres schémas et remettre à plus tard, si nécessaire, l’investigation systématique de l’histoire sexuelle, des relations précoces aux parents, du passé relationnel et d’autres domaines qui ne concernent pas les aspects immédiats du problème. En restant ainsi ouverte aux préoccupations du patient et ciblée sur l’actuel, la consultation pré-implantatoire peut articuler la plainte, la souffrance, les besoins, les questionnements, l’inquiétude du client quant à lui, à sa sexualité, à sa relation actuelle ou future et à la validité du traitement prothétique.

En fonction des points abordés par le client, le psychologue peut tantôt lui donner des réponses, tantôt l’encourager à approfondir sa réflexion, tantôt l’aiguiller vers des aspects négligés jusque là, ou encore l’aider à connecter des champs (affectif, relationnel, sexuel, médico-chirurgical) qui, sans cela, seraient restés compartimentés. Il reste que le nécessaire doit être fait en une heure, ce qui exige beaucoup de sobriété de la part du psychologue bien concentré sur l’intérêt de son client.

. En débutant la consultation, après que le psychologue se soit présenté comme membre de l’équipe de prise en charge, il est souvent opportun qu’il énonce le motif des consultations précédentes (la dysérection) et l’objet de la consultation actuelle (la décision de l’implantation). De cette manière, le patient a le sentiment que le psychologue est bien au fait de la situation et que la consultation s’insère concrètement dans un processus pluridisciplinaire dont lui, le patient, est le sujet bien identifié. Le rappel de quelques points d’anamnèse connus par ailleurs (dossier) demande un certain tact : il ne faut pas que cela soit ressenti comme une manifestation de l’ignorance de l’intervenant quant au dossier, ni comme une demande répétitive serinée. Ce rappel, bref, en guise d’introduction, exprime la continuité du suivi et le passage effectif du relais entre les intervenants qui se succèdent.

A partir de là, la consultation ne suit pas un schéma rigide : elle suit le fil des opportunités et s’adapte à chaque cas de manière à rendre l’exploration la plus naturelle et la plus bienfaisante possible. Ce souci d’adaptation au singulier constitue, de facto, une réelle reconnaissance de l’autonomie du patient, et l’aide à assumer une position active et responsable dans la démarche thérapeutique.

Quel que soit l’ordre suivi dans l’entretien, les champs abordés seront les suivants : la description du trouble : moment et mode d’apparition, évolution, traitements éventuels. Ces éléments ont déjà été recueillis lors des consultations médicales mais ils vont servir de point de départ à des explorations différentes ;

  1. la perception subjective du trouble : la dysérection a pu être identifiée très rapidement ou non ; elle a été vécue comme une perte grave ou non ; elle a pu être masquée par une autre problématique somatique, relationnelle ou psychologique. Par exemple, une séparation ou un veuvage, une maladie grave du patient ou de son conjoint, une accumulation de problèmes professionnels ou familiaux ;
  2. la réaction au trouble : dès la phase initiale, l’anxiété, l’anticipation de l’échec, le sentiment de dévalorisation sont souvent pénibles et mènent à un vécu dysphorique voire dépressif. L’état psychique actuel doit être évalué. Les psychopathologies graves sont rares mais elles existent. Il peut être nécessaire de traiter un état dépressif majeur ou une anxiété désorganisante avant de résoudre fructueusement le problème érectile. Une prudence particulière est requise à toutes les phases du traitement si des tendances paranoïaques ou hypocondriaques sont détectées. Les susceptibilités culturelles doivent être prises en compte ;
  3. la recherche de traitements : celle-ci se fait rarement dans l’urgence. Parfois elle ne commence que bien longtemps après l’apparition du trouble. Il est utile d’en retracer le cheminement : à la filière médicale classique médecin traitant- spécialistes en endocrinologie, urologie mais aussi en cardiologie, diabétologie etc , l’alternative des voies moins académique est souvent exploitée. La pornographie, les sextoys et les produits vendus dans les sexshops, le surf sur Internet, les expériences extra-conjugales sont généralement décevants mais constituent une phase préparatoire à une recherche plus rigoureuse de solution ;
  4. les traitements essayés : il est intéressant de répertorier les différents traitements essayés (testostérone, élastique, pompe, injection intracaverneuse, substances vaso-actives) et de prêter attention à ce que le patient a observé lors de ces essais en termes de bénéfices, de déceptions, d’angoisse. Son expérience constitue un socle fiable pour l’abord de la solution prothétique ;
  5. l’information concernant la prothèse : en dépit de l’information précise donnée par l’urologue (explication, description, présentation d’une prothèse, formulaire de consentement éclairé), il est fréquent que tout ne soit pas clair. Or, il est apparu lors d’une recherche rétrospective menée au CETISM, que la mauvaise compréhension ou l’information insuffisante étaient associées à un degré moindre de satisfaction chez les implantés. Ce fait est signalé au patient afin de l’inciter à ne pas rester sans réponse si des points restent énigmatiques. Il est encouragé à réinterroger le médecin si nécessaire. Il lui sera rappelé qu’il est possible de solliciter le témoignage de patients opérés qui acceptent de partager leur expérience vécue avec des candidats à l’opération. En insistant sur l’importance de l’information que doit acquérir le patient, on lui donne un rôle actif et responsable dans une démarche qui risque d’être ressentie comme essentiellement passive puisque c’est le médecin qui décide et qui intervient ;
  6. les craintes liées à l’opération et à la prothèse : si les risques médico-chirurgicaux ne sont pas de la compétence du psychologue, il est d’autres craintes qui émergent. La prothèse, avec la fonctionnalité sexuelle sans faille et sans limite (mécaniquement parlant) qu’elle permet, est parfois ressentie comme une menace pour le couple en termes d’infidélités possibles ou d’hyperactivité sexuelle inadaptée. Des détails concrets sont préoccupants dans le cadre de la pratique sexuelle réelle, qu’il s’agisse du gonflage, du dégonflage, de la visibilité de la prothèse, ou des sensations érotiques ou encore de l’éjaculation ;
  7. désir et prothèse : il s’agit là d’une question délicate et souvent source de résistance chez la partenaire. Bien que cela soit irrationnel, beaucoup de partenaires pensent que si l’homme est appareillé, il n’a pas ou plus besoin d’être désirant. Elles ressentent la solution du trouble comme une mécanisation déplaisante ou inacceptable de la sexualité et de la relation ;
  8. les relations : la dimension relationnelle de la sexualité est évidente et il est indispensable de faire le bilan de la situation du patient sur ce plan. L’importance de la sexualité pour chacun des membres du couple, les avantages ou inconvénients liés à la dysérection, les attentes, craintes et exigences de chacun doivent être rencontrés afin qu’elles ne grèvent pas les chances de réussite sexologique de l’implant ;
  9. l’inscription dans le temps : la nature et la durée du trouble érectile ont souvent modifié les habitudes sexuelles du couple. Beaucoup constatent une réduction si ce n’est une disparition des contacts érotiques. Une distance protectrice s’est installée. La solution prothétique supprime l’impossibilité de pénétration due à l’anérection mais ne raccommode pas automatiquement la déchirure du tissu relationnel. La reconquête de l’intimité est une tâche délicate qu’il est souhaitable d’entamer dès avant l’opération. L’abord de cette question de l’intimité semble être perçu très positivement par la plupart des couples. Dans la foulée, il est bienvenu de prévenir le couple que l’adaptation à la situation post-opératoire demande parfois des ajustements en termes de relation et d’intimité et que l’équipe pluridisciplinaire est attentive à ce sujet et disponible pour le prendre en charge.

En bref, la consultation psychologique pré-implantatoire est un moment privilégié d’écoute et d’échange au cours duquel l’acte technique réparateur est intégré à un ensemble plus large, celui de la personne en relation avec ce que cela implique d’émotionnel, d’irrationnel, d’inconscient, avec les désirs qui l’animent et les craintes qui le torturent, intégration qui se fait par la prise en compte attentive et respectueuse des préoccupations et problèmes de l’individu qui nous consulte. Il n’est pas inutile de noter qu’à la fin d’une consultation d’une heure, beaucoup de patients et de couples expriment spontanément de la satisfaction même s’ils étaient initialement sceptiques : la satisfaction d’avoir été écoutés dans leurs préoccupations intimes qui, n’étant pas du registre médical, sont ignorées (à juste titre) par les médecins, la satisfaction d’avoir une vision plus large des implications érotiques et amoureuses d’un remède hi-tech.