Dr Lakshmi Waber, Genève, Suisse
Avant-propos
Cet article a pour but d’évoquer l’apport à la sexothérapie de deux concepts fondamentaux issus de l’addiction et l’hypnose, à savoir l’automatisation et la dissociation et de voir comment ces deux éléments peuvent favoriser le choix et le plaisir chez nos patients.
Les liens entre l’addiction et la sexualité sont nombreux. On peut citer l’idée que les structures cérébrales (VTA, Nucleus Accumbens, système glutamatergique: système de renforcement/automatisation) (1) dédiées habituellement à renforcer les comportements utiles à la survie de l’espèce (recherche de nourriture, de partenaire sexuel, soins à la progéniture) sont déviées pour la recherche de substance et/ou du comportement addictif. Un autre lien est l’hypothèse de La Perra (2) selon laquelle un tiers des héroïnomanes aurait débuté leur consommation pour palier à un problème sexuel (DE,EP). Par ailleurs il est intéressant de noter que des problèmes sexuels sont très présents chez des patients présentant diverses addictions ( cyber, jeux), y compris chez ceux ayant une addiction sexuelle. L’idée ici est de voir comment ce concept d’automatisation peut nous être utile en sexothérapie.
Les liens entre l’hypnose et la sexualité sont moins documentés (5,6,7,8), mais les idées tournent autour des liens corps-esprit, de l’état de conscience modifiée, de la dissociation. Nous nous pencherons sur la dissociation, ou désincarnation, comme outil de compréhension des problèmes sexuels et comme outil thérapeutique.
L’automatisation
Je me réfère ici à l’acceptation globale du concept d’addiction dans le langage courant, qui n’existe pas (encore ?) dans le DSM ou la CIM, pour m’intéresser à une des caractéristique de ce type de comportement : l’automatisation. L’automatisme est la réaction « réflexe » à un stimulus donné : cette réaction peut être cognitive, émotionnelle, comportementale. L’automatisation est donc le passage d’un comportement habituel, problématique peut-être, à un comportement réflexe, par apprentissage répétitif régulier et renforcement. Il peut être similaire à l’apprentissage d’un mouvement par un sportif, qui lui permet au final d’être plus efficace, plus rapide et dépenser moins d’énergie pour ce geste donné. La question d’apprentissage et de conditionnement sont des éléments clé, car souvent oubliés. Effectivement les patients peuvent se présenter comme « étant ainsi », identifiés à leur problèmes. Un autre élément clé est que le comportement débuté se poursuit jusqu’à sa fin et ne peut être arrêté en cours de route. Cet élément a été théorisé autour de la métaphore des ornières (cérébrales): une fois dedans, on en ne peut en sortir qu’à la fin de l’ornière (et pas sur les côtés). Typiquement un patient présentant une EP (éjaculation précoce) dira avoir des réactions réflexes incontrôlables associées à toute une série de pensées anxiogènes et/ou dévalorisantes. Il se présentera parfois comme un « EP ». L’analyse de son lien à la sexualité et de son vécu sexuel en terme d’automatisation de ses comportements et pensées peut amener une autre perspective sur sa problématique. Cela peut être vu comme une ornière dans laquelle le patient peut tomber à chaque stimulus sexuel et dont il peut essayer de sortir en cours de route, ce qui est impossible. Comme il est inutile de se débattre quand on est pris dans la vase. Au travers de cette analyse, il est possible d’introduire la notion de temps. Le temps durant lequel le patient accepte le réflexe quand il est présent (dans l’ornière) et ne s’épuise pas à “lutter contre”. Temps durant lequel on peut l’amener si possible à en profiter (primauté du plaisir sur la performance). Et le temps pour un autre travail, durant lequel un nouvel apprentissage (corporel, émotionnel, cognitif) peut être effectué (en-dehors de l’ornière) pour procéder à une automatisation, cette fois-ci choisie. Il est aussi utile de bien repérer quels stimuli enclenchent ce réflexe (stimulus saillant, élargissement du champs de stimuli déclencheurs au fil du temps). Nous pouvons par cette démarche instiller du choix et du contrôle approprié chez le patient.
La dissociation
Pour ne pas nous perdre en définitions, nous définirons la dissociation comme une perte de lien au corps, tout ou une partie et considérons l’hypnose principalement dans son aspect d’approche corporelle. On peut induire cette dissociation par hypnose, ou elle peut être induite à différents degrés par de l’anxiété, les trauma ou tout autre atteinte physique ou psychique engendrant une difficulté. Ceci est illustré par le concept d’auto-hypnose négative (AHN) développée par Araoz (3). Dans notre exemple, le patient se dissocie de son corps (ou de son pénis) et dit souvent qu il sent l’excitation (et l’anxiété) et rien d autre. Il est en AHN et perte de contrôle de son corps. L’idée est d’analyser sa situation en terme AHN (dissociation du corps) et de travailler à la réassociation. Nous pouvons le faire au travers de l’hypnose, ou simplement par un travail d’incarnation des invariants que sont la respiration, le pouls et la gravité dans un premier temps, et par la suite toutes les dérivées sensori-motrices générales et spécifiques à la sexualité. Ce travail peut favoriser une meilleure gestion des états de conscience modifiés inhérents (recherchés?) à la sexualité et un meilleur contrôle de son vécu (4). Il permet surtout, au travers de la réincarnation, d’être plus proche de son plaisir.
Contrôle et lâcher-prise
Une demande intéressante des patients en sexologie, notamment pour l’hypnose est de pouvoir lâcher-prise. Pour les problèmes d’addiction c’est d’avoir le contrôle. La clinique et la recherche nous montrent qu’au travers d’un travail en hypnose et par mobilisation des ressources internes le patient peut expérimenter le contrôle sur des symptômes jusqu’alors incontrôlables (douleur, anxiété) (4). Métaphoriquement le patient, cramponné à une paroi au-dessus du vide, se dit qu’il doit lâcher prise…ce n’est probablement pas le bon moment… Le travail en dissociation (par ex au travers d’une métaphore) permet de combler le vide, changer la paroi…etc et le travail d’incarnation permet le gain de contrôle nécessaire à un lâcher prise agréable (effet de centration). De la même manière et inversement pour l’addiction, l’exercice de l’analyse des automatismes et la métaphore des ornières peut permettre de profiter mieux des moments « incontrôlables » et au travers de ce lâcher-prise de développer progressivement le choix et le contrôle.
Conclusion
Nous avons vu dans ce développement que l’analyse au travers du prisme de l’automatisation peut faciliter l’émergence du choix et du contrôle approprié. La compréhension de la problématique avec l’idée de dissociation permet l’émergence du plaisir par la réincarnation. Conjointement ces deux concepts amène un regard différent aux patient et un gain de contrôle et de lâcher-prise sur leur problématique. Ces deux notions peuvent donc apporter un grille de lecture intéressante dans les problématiques souvent complexes présentées en sexologie.
Bibilographie
- Khazaal, Zullino 2006: Topiramate in the treatment of compulsive sexual behaviour: a case report, BMC Psychiatry March 2006
- La Pera G 2003: Prevalence of sexual disorders in those young males who later become drug abusers. J Sex Marital Ther. 2003 Mar-Apr;29(2):149-56. 228, 130, 33 ans
La Pera G 2006: The role of sexual dysfunctions in inducing the use of drug in young males. Arch Ital Urol Androl. 2006 Sep;78(3):101-6 : 86 - Araoz Daniel et al, Sexual Hypnotherapy for the Couples and Family Counselor et Hypnosis in Human Sexuality Problems
- Lakshmi Waber, Conversion hystérique, hypnose et imagerie cérébrale (thèse doctorat unige)
- Virot Claude et al, Recherche et succès cliniques de l’hypnose contemporaine (Laurence Dubois et Joëlle Mignot, Brigitte Koessler)
- Bioy Antoine et al, traité d’hypnothérapie: Fondements, méthodes et applications (Patrice Cudicio)
- Erickson Milton et al, Traité pratique de l’hypnose
- Graham Jamieson, Hypnosis and State of Mind