Vivre sa Sexualité en Pleine Conscience

La troisième vague des thérapies cognitivo-comportementales face à la distraction cognitive

Par Nathalie Dessaux,  Rennes, France

Résumé

Les dysfonctions sexuelles féminines mettent souvent en évidence une difficulté dans la reconnaissance des sensations sexuelles et un parasitage de celles-ci par nombre de pensées distractives ou anxieuses. Ce déficit de conscience sexuelle se retrouve ainsi dans les troubles de l’excitation subjective ou dans les troubles du désir. L’un des objectifs thérapeutiques qui semble le plus pertinent est de développer une attention focalisée sur les sensations sexuelles. La méditation Mindfulness a fait la preuve de son efficacité dans les troubles anxieux et certains protocoles de traitement l’ont récemment appliquée à la sexualité avec succès. Il est discuté dans cet article des fondements de la méditation dans ses liens avec le focus attentionnel et la conscience du corps.

Mots clés

Mindfulness – Pleine conscience – Attention – Conscience sexuelle – Dysfonction sexuelle féminine – Trouble du désir sexuel hypoactif – Trouble de l’excitation sexuelle féminine


De la distraction à la mobilisation attentionnelle

Depuis longtemps déjà, les recherches appliquées en sexologie ont mis en évidence l’impact de la distraction cognitive dans la genèse des troubles sexuels. Masters et Johnson (1971) établissaient déjà la notion de spectatoring, (attitude de spectateur) comme princeps dans la constitution de tout trouble sexuel. Cette référence constante à l’anxiété inhibitrice suppose bien évidemment l’influence de facteurs cognitifs dans le fonctionnement sexuel. Les dysfonctions sexuelles sont souvent accompagnées d’idées négatives, de fausses croyances, de ruminations anxieuses et de scénarios d’échec.

Et pourtant, l’anxiété est aussi reconnue comme parfois facilitatrice de l’excitation sexuelle. Ainsi une expérience de Wincz, Hoon et Hoon (1977) sur des sujets féminins a-t-elle montré que l’exposition à un stimulus aversif (film effrayant) augmente l’excitation sexuelle à un stimulus érotique (film érotique) en deuxième exposition. Barlow (1986) éclaire ce résultat et parvient à la conclusion que l’anxiété joue un rôle différent selon le fonctionnement sexuel de l’individu : elle serait facilitatrice pour les sujets fonctionnels et inhibitrice pour les sujets dysfonctionnels. Il établit alors que la composante somatique, physiologique de l’anxiété faciliterait la réponse sexuelle, alors que la composante cognitive de l’anxiété aurait un effet inhibiteur.

Différentes études se sont intéressées aux associations entre les cognitions ou les distractions cognitives dans les difficultés sexuelles chez les individus. S’appuyant sur le modèle cognitif de l’anxiété de Beck (1976), certains auteurs mettent en évidence la présence de pensées automatiques anxieuses sur les thèmes de la performance, de l’apparence physique, de la relation de couple ou des schémas cognitifs d’incompétence sexuelle (Wincze et Barlow, 1997 ; Dove et Wiederman, 2000 ; Basson, 2001 ; Nobre et Pinto-Gouveia, 2008). Ces études identifient la distraction cognitive comme agent directement responsable de l’inhibition des réactions sexuelles.

Kempeneers et Barbier (2008) citent une étude de Elliot et O’Donohue (1997) établissant l’effet inhibiteur sur la fonction érotique de la mobilisation attentionnelle par des stimuli distracteurs : parallèlement à l’écoute d’enregistrements érotiques, les sujets devaient répéter des phrases selon des consignes plus ou moins complexes. Geonet et al. (2011) rapportent une étude de Beck et Baldwin (1994) où des femmes utilisent des stratégies cognitives pour agir sur leur réceptivité à des stimuli sexuels : la concentration de leur attention sur des pensées sexuelles positives entrainait une augmentation de leur excitation. Cet impact du focus attentionnel a également été mis en évidence par Koukounas et Mc Cabe (2001) qui observent que l’excitation sexuelle de sujets masculins est fortement corrélée à l’intensité de leur mobilisation attentionnelle sur le film érotique.

Par ailleurs, la discordance importante entre excitation physiologique et excitation subjective chez la femme apporte d’autres éléments de réflexion qui plaident en faveur du rôle du focus attentionnel dans la sexualité. La meilleure illustration de cette discordance fut sans conteste les essais infructueux des IPDE5 chez les sujets féminins qui, tout en affichant un plus haut niveau d’excitation physiologique, ne décrivaient aucune sensation d’excitation.

Silverstein et al (2011) éclairent ce paradoxe par la notion de conscience intéroceptive, définie comme la capacité à repérer les sensations internes du corps. Selon ces auteurs, certains facteurs psychologiques viennent interférer entre la conscience intéroceptive et le fonctionnement sexuel. Ces facteurs cognitifs se subdivisent en trois catégories :

  • Le déficit attentionnel : incapacité à se focaliser ou à remarquer les différentes sensations corporelles
  •  L’auto-critique : auto-évaluation négative en lien avec un défaut d’acceptation de soi
  • Des symptômes cliniques d’anxiété ou de dépression

Le concept d’attention, en tant que processus cognitif, semble donc au cœur de l’inhibition de la réaction sexuelle. De Jong (2009) établissait déjà le rôle central des processus attentionnels dans la facilitation physiologique et subjective de l’excitation sexuelle et préconisait le recours à des techniques développant cette compétence dans la prise en charge des dysfonctions sexuelles.

L’attention est un processus mental par lequel l’individu se concentre de façon sélective sur un stimulus particulier tout en éliminant les réponses à d’autres stimuli présentés au même moment. C’est l’étape qui précède toute évaluation cognitive.

Dès le 19ème siècle, on établit des relations entre l’attention et les événements mentaux. Ainsi, selon James (1890) « l’attention est la prise de possession par l’esprit, sous une forme claire et vive, d’un objet ou d’une suite de pensées parmi plusieurs qui semblent possibles […] Elle implique le retrait de certains objets afin de traiter plus efficacement les autres. »

L’attention est une activité dite cognitive parce qu’elle s’exerce sur des représentations mentales. Le recours à ce phénomène cognitif se justifie notamment par le fait que notre système mental a une capacité limitée du traitement de la réponse : il faut donc sélectionner l’information sur laquelle le système peut agir en priorité. L’attention permet à l’individu de diriger ses actions sur des objets spécifiques et de maintenir certaines informations ou certains objets à un haut niveau de traitement, en mémoire de travail ou dans la conscience. Cette opération mentale est sous le contrôle du sujet, elle implique une notion de choix ou d’intentionnalité. Elle est un phénomène préparatoire au traitement de l’information, le pré-requis à tout apprentissage adéquat (Sieroff, 1998).

On distingue trois dimensions dans l’attention (Posner, 1992) :

L’attention sélective (ou attention focalisée) est la capacité à sélectionner un stimulus particulier par rapport à d’autres. Cette capacité présente 2 mécanismes importants : l’activation de l’information pertinente et l’inhibition des informations distractives.

L’attention soutenue ou vigilance est la capacité à maintenir son attention pendant une longue période.

L’attention partagée est la capacité à traiter deux ou plusieurs informations simultanément.

Un des objectifs à atteindre en sexothérapie serait donc d’aider les individus à focaliser leur attention sur les sensations, en agissant notamment sur l’attention sélective et l’attention partagée afin de réduire l’impact de la distraction cognitive.

La Méditation de Pleine Conscience : un outil au service du focus attentionnel

La Pleine conscience est un « Etat de conscience qui résulte du fait de porter son attention de manière intentionnelle et sans jugement sur l’expérience qui se déploie moment après moment. » (Kabat-Zinn, 2009)

La méditation Mindfulness a pu faire la preuve de son efficacité à travers son utilisation dans de nombreux programmes de psychothérapie. Kabat-Zinn a développé dès 1982 les premières applications de la Pleine conscience à la réduction du stress (MBSR – Mindfulness-Based Stress réduction). D’autres applications pour la dépression ont été développées depuis (MBCT – Mindfulnesss-Based Cognitive Therapy) et de plus en plus d’interventions psychologiques utilisent cet axe thérapeutique : la Thérapie d’Acceptation et d’Engagement (ACT – Acceptance and Commitment Therapy) et la thérapie comportementale dialectique (DBT – Dialectical Behavior Therapy) développées pour faire face aux troubles de la personnalité par la régulation émotionnelle.

Bishop et al (2004) proposent un modèle théorique qui définit la pleine conscience comme une compétence métacognitive sous-tendue par deux composantes principales : l’autorégulation de l’attention et l’orientation attentionnelle vers l’expérience.

  •  l’autorégulation de l’attention consiste en cette capacité à prendre conscience des distracteurs potentiels et à désengager le focus attentionnel de ceux-ci pour le réengager ensuite sur le point de focalisation initialement choisi. Cette compétence fait donc appel la notion de flexibilité du focus attentionnel.
  •  l’orientation attentionnelle vers l’expérience évoque l’adoption d’une attitude particulière face à l’expérience. Cette attitude consiste à prendre conscience de la capture automatique des ressources attentionnelles par les différentes pensées, émotions ou sensations corporelles surgissant à l’esprit, et à moduler l’attention sélective afin d’observer, avec curiosité et sans volonté de les modifier ou de les éviter, les différents aspects de l’expérience. Cette ouverture à l’expérience se réalise dans un contexte d’acceptation sans jugement, l’acceptation étant alors définie comme un état d’ouverture à la réalité de l’instant (Berghman et al., 2008).

Cette nouvelle posture psychothérapeutique s’inscrit dans le courant dit de la troisième vague des Thérapies Comportementales et Cognitives (TCC). Jusqu’alors en effet, et depuis le courant issu du modèle du traitement de l’information, les thérapies cognitives fondaient leurs pratiques sur un modèle des conduites à partir de 3 dimensions majeures en interaction constante : les émotions (ce que je ressens), les cognitions (ce que je pense) et les comportements (ce que je fais). L’objectif était alors d’agir sur l’une de ces dimensions, la cognition, pour modifier les deux autres.

Les thérapies cognitives intègrent des techniques de modification des pensées dysfonctionnelles – la restructuration cognitive – et des techniques comportementales qui visent à modéliser de nouveaux apprentissages. Dans ce contexte théorique, l’accent est mis sur la diminution des symptômes.

La troisième vague des TCC fait son apparition au début des années 80. Elle souhaite répondre aux critiques habituelles faites aux thérapies cognitives qui comparent l’homme à une machine dans un modèle mécaniciste des conduites humaines. Les thérapies de la 3ème vague cherchent à agir sur la relation que l’individu entretient avec ses pensées et ses émotions douloureuses, plutôt que de tenter de les supprimer par l’évitement expérientiel ou de changer leur contenu par la restructuration cognitive (Kotsou et Heeren, 2011).

Modifier la relation de l’individu avec ses symptômes passe par l’acceptation de ceux-ci à travers notamment une observation dénuée de tout jugement. L’objectif principal est la distanciation face aux pensées, de manière à opérer une défusion cognitive de l’individu avec ses règles verbales. Le langage a en effet cette particularité de développer un effet de réalité où les pensées finissent par être considérées comme des faits. Cette position d’observateur attentif génère une attitude méta-cognitive qui se développe notamment grâce à la pratique de la pleine conscience.

La plupart des méditations commencent en développant une focalisation de l’attention. On définit deux types de méditations issues du bouddhisme : les méditations concentratives qui agissent sur l’attention sélective et les méditations attentives qui agissent sur l’attention partagée (Baijal et Srinivasan, 2008) :

  •  La méditation concentrative (« Samatha ») implique la focalisation de son attention sur un point de concentration qui peut être un mantra, la respiration, un objet visuel externe, une visualisation, un son ou une partie du corps bien précise.
  •  La méditation attentive (« Vipassana ») implique d’entrer dans un état d’ouverture et de réceptivité à toutes sortes de stimulations, telles que les pensées, les émotions, les sensations et les images. Elle axent l’attention sur le moment présent et vise à générer de la compréhension (insight) et de la sagesse.

Par la prise de conscience d’évènements mentaux, sans besoin d’agir, la pleine conscience enseigne aux individus le passage d’un état de « faire/conceptualiser » où la pensée prédomine à celui de « être/expérimenter » (Strub, 2011) où la réalité des 5 sens occupe le premier plan. Elle développe ainsi des capacités accrues de recul émotionnel et cognitif lors d’évènements de vie adverses (effet anti-rumination), un probable accroissement de l’impact des événements émotionnels positifs et développe des capacités d’acceptation (de ses émotions, de soi et des autres).

La pratique de la pleine conscience, outre son action sur l’attention, améliore par ailleurs la conscience intéroceptive, cette reconnaissance des sensations centrale dans la sexualité. De nombreuses études ont en effet démontré l’action du Mindfulness sur l’épaisseur du tissu cortical et en particulier sur les zones associées à la conscience intéroceptive, comme l’insula et le cortex cingulaire antérieur (Lazar et al., 2005 ; Silverstein et al. 2011).

La Pleine Conscience en Sexothérapie

Les premiers travaux qui décrivent l’impact de la méditation Mindfulness sur la sexualité sont essentiellement qualitatifs : ainsi Mayland (2005) a-t-elle interrogé 10 femmes sexuellement fonctionnelles et pratiquant la méditation depuis plusieurs années. Bien que ces femmes aient parfois reçu des messages négatifs concernant la sexualité durant leur enfance, elles rapportent une satisfaction sexuelle importante et soulignent une évolution positive de la conscience de leurs sensations sexuelles depuis qu’elles pratiquent la méditation. Elles décrivent également une meilleure gestion de leurs attentes face à leur manière de se comporter dans les rapports sexuels.

Les premiers protocoles thérapeutiques ont été ensuite élaborés auprès de femmes présentant un trouble de l’excitation avec ou sans difficulté médicale (Brotto et Heiman, 2007 ; Brotto, Basson et Luria, 2008). Ces programmes comprenaient différents modules d’action, parmi lesquels de la sexothérapie cognitivo-comportementale, de la psychoéducation autour de la sexualité et quelques séances de pleine conscience. L’entrainement à la méditation comportaient 4 séances de 90 minutes et des incitations à intégrer ensuite la pleine conscience dans leur activité quotidienne puis dans leurs exercices sexuels. Ainsi, les femmes étaient-elles incitées à pratiquer la pleine conscience pendant leur toilette, ou à observer leur sexe, puis à le toucher sans jugement ni objectif sexuel tout en énonçant des « phrases-mantra » (ex : « mon corps m’appartient – mon corps est vivant ». A la fin du programme, les participantes ont rapporté une meilleure conscience de leur excitation et une amélioration de leur image corporelle pour les femmes après hystérectomie. Il n’y cependant pas dans ces programmes multimodaux, de possibilité de mesure de l’impact précis des exercices de pleine conscience sur la sexualité des participantes.

Geonet, Zech et De Sutter (2011) décrivent un cas clinique sur la seule utilisation du mindfulness dans la prise en charge du désir sexuel hypoactif. Leur programme comportait des séances de pleine conscience avec le thérapeute et des homeworks autour de l’utilisation de la pleine conscience dans :

  •  des activités de routine
  •  des activités liées au corps (ex : se mettre de la crème hydratante, prendre une douche)
  •  des caresses en couple, habillés, hors zones érogènes
  •  des caresses en couple, nus, hors zones érogènes
  •  des caresses en couple, habillés avec zones érogènes

A la fin de la prise en charge, le couple rapporte une reprise de la sexualité, une meilleure conscience des sensations corporelles pour la femme, un moindre impact des pensées négatives sur son image corporelle… et un début de grossesse. Le désir de fonder une famille était en effet à la source de la démarche de ce couple et c’est peut-être là une variable facilitatrice de l’amélioration chez cette patiente, tant il est vrai que désir de reproduction et désir sexuel sont parfois confondus chez la femme.

Silverstein, Brown, Roth et Britton (2011) ont étudié l’impact de la seule pleine conscience sur la conscience intéroceptive chez la femme à travers l’étude des trois facteurs cognitifs interférant avec cette prise de conscience : le focus attentionnel, le défaut d’acceptation de soi ou auto-critique et les symptômes cliniques anxio-dépressifs.

  • Leur population est composée de 44 étudiants, âgés de 20 ans en moyenne, développant trois conditions expérimentales : un groupe expérimental de femmes « Mindfulness » (N = 14) ; un groupe contrôle de femmes « cours didactiques religieux ou musicaux » (N = 16) ; un groupe contrôle d’hommes « Mindfulness » pour mettre en évidence la différence générale dans la conscience intéroceptive.
  • Leur programme développe un entrainement complet de 12 semaines à la méditation pour les groupe « Mindfulness » à raison de 1 heure trois fois par semaine en incluant des pratiques « Vipassana » (méditation concentrative avec focus sur un objet, comme la respiration) et « Samatha » (méditation attentive avec attention portée sur différents objets, comme les sensations sexuelles), soit 30 heures de formation à la méditation.
  • Les mesures incluaient des échelles spécifiques du mindfulness pour évaluer l’attention, la conscience de l’instant présent ou l’acceptation sans jugement ainsi que des échelles d’évaluation des symptômes cliniques et du bien-être psychologique (acceptation de soi). La conscience intéroceptive est mesurée par le temps de réaction à la cotation du niveau d’excitation face à des stimuli sexuels.

Les résultats de cette étude mettent en évidence :

  • Une conscience intéroceptive plus importante chez les hommes que chez les femmes avant le programme d’entrainement à la pleine conscience. Cette moins grande conscience des sensations sexuelles chez les femmes est corrélée à de plus hauts niveaux d’auto-dévaluation et de symptômes anxio-dépressifs.
  • Les femmes du groupe expérimental « Mindfulness » voient leur conscience intéroceptive augmenter de manière significative face au groupe contrôle. On voit également cette différence significative apparaître sur les autres variables mesurées : augmentation de l’attention et diminution de l’auto-critique et des symptômes cliniques dans le groupe « Mindfulness ».
  • L’augmentation de la conscience intéroceptive dans le groupe « Mindfulness » est corrélée à des améliorations dans la mobilisation attentionnelle, le jugement de soi et les symptômes cliniques anxio-dépressifs, trois éléments impliqués dans l’inhibition sexuelle.
  • A la fin du programme, les femmes du groupe « Mindfulness » ne différaient plus des hommes dans leur temps de réaction aux stimuli sexuels : leur conscience interoceptive est devenue équivalente à celle des hommes. La pratique de la méditation de pleine conscience permet aux femmes entraînées d’accéder plus consciemment et plus rapidement à leur excitation sexuelle.

Malgré quelques limites reconnues par les auteurs (taille de l’échantillon, population non clinique et impliquée dans des études supérieures réputées pour développer les capacités attentionnelles), cette première étude scientifique sur l’impact de la Mindfulness dans la sexualité offre des perspectives plus qu’encourageantes pour l’intégration de la pleine conscience en sexothérapie.

Méditation, Sensate Focus, Relaxation et Hypnose

L’entrainement à la concentration sur les sensations sexuelles est au cœur de nos préoccupations de sexothérapeutes depuis la naissance de la sexologie. Le Sensate Focus masterien en est l’ascendant thérapeutique. On est donc en droit de s’interroger sur les différences entre la pleine conscience et les autres outils utilisés en sexothérapie jusqu’alors.

Le Sensate Focus :

Sensate Focus et pleine conscience mettent tous deux l’accent sur la dimension expérientielle de leur pratique, sans atteinte d’objectif orgasmique. Cependant, selon Geonet et al (2011), il existe deux différences essentielles entre ces deux techniques :

  •  La pleine conscience est une compétence qui peut s’appliquer à tous les domaines de la vie, et pas uniquement à la sexualité, ce qui peut générer un phénomène de généralisation sur le fonctionnement sexuel.
  •  L’entrainement à la pleine conscience peut être pratiqué individuellement, en l’absence d’un partenaire, ce que tous les cliniciens noteront comme un élément intéressant dans la prise en charge des célibataires ou dans le cas d’individus dont le partenaire ne participe pas à la thérapie sexuelle.

La Relaxation :

La méditation de pleine conscience et la relaxation se distinguent entre elles par la définition de leur objectif annoncé (André, 2010) :

  •  Evitement des émotions douloureuses, relâchement musculaire et baisse de la vigilance pour la relaxation ;
  •  Prise de conscience de l’expérience vécue sans objectif particulier pour la méditation ; développement d’un mode d’éveil et d’ouverture au moment présent sans chercher à le modifier. Les bénéfices observés par sa pratique ne sont pas recherchés volontairement en séance.

L’Hypnose :

La définition de l’hypnose, selon les auteurs, fait appel à différents concepts dont certains se retrouvent également dans la pleine conscience :

  •  L’hypnose est dissociation : la dissociation est le terme utilisé pour décrire ce qui se vit chez une personne lorsqu’une partie mentale ou physique d’elle-même fonctionne distinctement et indépendamment d’une autre partie. La dissociation hypnotique fait notamment référence à celle que l’on provoque entre l’esprit conscient et l’esprit inconscient, entre le corps et l’esprit, entre la représentation et l’affect (Halfon, 2006). Elle se métaphorise dans le corps par la mise en catalepsie de la main par exemple.
  •  L’hypnose est attention et vigilance : Erickson (1983) définit l’hypnose comme « un état d’attention et de réceptivité intenses avec une augmentation de la réceptivité à une idée ou un groupe d’idées ». Un individu entre dans la transe hypnotique lorsqu’il a réussi à focaliser son attention sur une seule idée, sensation ou objet, et si à partir de là il a modifié quelque chose dans sa manière de percevoir la situation. Pour Roustang (1994), l’hypnose « a certains attributs du sommeil, puisqu’elle sépare l’hypnotisé des stimuli afférents, mais par ailleurs elle se révèle une vigilance accrue capable de prendre en compte la totalité des paramètres de l’existence, sorte de vigilance généralisée qui englobe et dépasse la vigilance restreinte, celle que nous connaissons dans la vie quotidienne. »

    Ces deux phénomènes inhérents à la transe hypnotique se combinent pour créer cet état particulier de conscience où il y a à la fois hypervigilance focalisée sur un sujet donné et mise en sommeil de certaines fonctions ou perceptions.

  •  L’hypnose est ouverture à l’expérience : Petot (1995) décrit l’hypnose comme un mode de fonctionnement particulier, comparable à celui de l’absorption ou ouverture à l’expérience, trait de personnalité défini comme une « aptitude à la concentration totale de l’attention sur un objet, accompagné de désinvestissement de la situation réelle, ou du moins des aspects de la situation qui ne sont pas en rapport avec l’objet de l’attention ».

Les premières théorisations de l’hypnose en sexothérapie ont été initiées par Araoz (1994). Selon cet auteur, l’hypnose se distingue de la conscience ordinaire en ce sens qu’elle crée un état dépendant des fonctions parasympathiques. C’est pour cette raison qu’elle peut trouver une application particulièrement pertinente dans le domaine de la sexualité. Dans cet état, l’individu entre dans une relation intense avec ses perceptions. L’induction hypnotique est d’ailleurs souvent réalisée en invitant l’individu à se concentrer sur ses sensations corporelles. Cette prise de conscience de la sensation est utilisée pour entrer dans la transe, elle est un passage vers l’état de conscience modifié qu’est l’hypnose pour entrer ensuite dans le changement de cognitions. Selon Araoz, bon nombre de problèmes sexuels prennent en effet leur source dans une « auto-hypnose négative ». Son objectif, par le biais du travail sous hypnose, est donc de remplacer ces cognitions par d’autres plus adaptées à la sexualité. Pour ce faire, il fait appel à l’imagerie mentale, à la métaphore ou à des suggestions directes.

Araoz est dans un abord cognitiviste de la problématique sexuelle et s’appuie sur le modèle de l’excitation sexuelle de Walen (1980) où les sensations sexuelles sont décrites comme faisant l’objet de constantes évaluations cognitives. En développant une compétence mentale dans le but de maîtriser ou de remplacer les pensées négatives par d’autres plus adaptées à la sexualité, il opère, comme dans les TCC classiques, une restructuration cognitive.

Araoz établit bien cette focalisation de l’attention vers le perceptif, ce détachement du jugement critique que la pleine conscience vise également, mais il privilégie le travail avec la cognition et on en est encore dans cet abord des choses, dans une logique de soin médicale où l’on tente de supprimer ou de remplacer quelque chose de néfaste par quelque chose de plus adapté.

Focalisation de l’attention et ouverture à l’expérience sont donc communes à l’hypnose et à la pleine conscience, mais dans l’hypnothérapie appliquée à la sexologie, l’hypnose n’est pas une fin en soi, mais un moyen pour « tendre vers ». Il y a donc dans l’hypnose la recherche d’un objectif – le changement de cognitions – et dans la pleine conscience le développement d’une vigilance orientée vers l’observation et l’acceptation de l’expérience du présent. Peut-être pourrait-on comparer la pleine conscience à ce qui se développe dans l’hypnose sèche, cette hypnose sans suggestion ni métaphore induite qui repose sur l’efficacité curative de l’état hypnotique en lui-même (Cudicio, 2008) ?

Conclusion

L’utilisation de la méditation pleine conscience en sexothérapie semble donc une ouverture intéressante pour aider les individus, et plutôt les femmes, à développer une meilleure focalisation sur les sensations sexuelles. Son efficacité sur les phénomènes de ruminations psychiques dans le stress et la dépression ou sur les douleurs chroniques en fait un sujet d’intérêt dans le développement des sexothérapies. Elle supposera cependant de la part des patientes impliquées l’acceptation d’un processus d’apprentissage, ou entraînement de l’esprit, qui contribuera à la mise en place d’un nouveau rapport au monde et à la sexualité.

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