La dysfonction érectile est la principale source de souffrance psychologique chez l’homme blessé médullaire

Analyse et commentaires de Frédérique Courtois, PhD, Montréal, Canada,

De l’article de Barbonetti A, Cavallo F, Felzani G, Francavilla S, Francavilla F, ERECTILE DYSFUNCTION IS THE MAIN DETERMINANT OF PSYCHOLOGICAL DISTRESS IN MEN WITH SPINAL CORD INJURY, J Sex Med 2012; 9: 830


Depuis les études de Anderson et collaborateurs (2007) menées sur une large cohorte de personnes ayant une lésion médullaire, et réalisées par internet, l’importance de la sexualité pour les personnes paraplégiques et tétraplégiques a été largement confirmée. Ces études montrent que la sexualité représente la priorité ultime (« number 1 priority ») pour les personnes paraplégiques, et la seconde – après l’usage des mains -, pour les personnes tétraplégiques. Qui plus est, les études montrent que l’importance de la sexualité n’est pas tant liée à la fertilité, qu’à l’accès au plaisir et aux sensations, qui participent à la qualité de vie. La sexualité donne accès à l’intimité physique et sentimentale, la sensualité du corps, la jouissance, le sentiment d’être un être sexué. Elle donne accès à la vie de couple, la vie familiale, maritale et parentale.

Tous ces aspects de la sexualité, transformés à la suite d’une lésion à la moelle épinière, s’ajoutent à l’impact de la lésion sur d’autres dimensions, physiques, psychologiques et sociales. Outre les déficits sensitivomoteurs, la lésion médullaire peut entrainer des dépressions et de l’anxiété, et limiter l’accès aux activités sociales, professionnelles et de loisir, ce qui peut avoir des répercussions sur le bien être psychologique de l’individu. À ces facteurs s’ajoutent les troubles de la continence –  urinaire, fécale, gaz -, qui apportent leur lot d’inquiétudes et de dévalorisation.

L’article de Barbonetti et collaborateurs (2011) en ce sens jette un coup d’œil intéressant sur l’interrelation entre ces variables physiques et psychologiques et la dysfonction érectile (DE) chez l’homme blessé médullaire. Sachant que les lésions touchent prioritairement les hommes (4 hommes pour 1 femme) et qu’elles affectent principalement les jeunes (15-35 ans), au pic de leur sexualité et leur désir de reproduction, les auteurs ont voulu explorer l’impact, de même que la contribution relative, de la DE par rapport d’autres variables physiques et psychologiques sur le niveau de souffrance psychologique.

L’article offre une méthodologie bien menée, qui utilise des outils fiables et validés dans la littérature, mais qui sont également utilisés dans le domaine de la réadaptation et de la médecine sexuelle, ce qui les rend plus parlants cliniquement. Les lésions sont évaluées à l’aide de l’indice ASIA, le niveau d’indépendance fonctionnelle à l’aide de l’indice Barthel (indice physique d’une part et incontinence d’autre part), la dysfonction érectile est évaluée à l’aide de la version abrégée de lIEF (International Index of Erectile Function), et le niveau de souffrance psychologique à l’aide du Symptom Checklist révisé (SCR-R-90), qui offre 9 échelles dont une sur la dépression,  l’anxiété, la somatisation, la sensibilité interpersonnelle et les tendances psychotiques.

Les résultats confirment que les hommes atteints de lésions hautes (ex., tétraplégie) sont moins à risque de DE que les patients atteints de lésions basses. Ces résultats connus de la littérature appuient une fois de plus la base réflexe de la réponse sexuelle. Les résultats révèlent également que la DE est associée à beaucoup plus de souffrance psychologique (lien statistiquement significatif sur les 9 dimensions de l’outil) que l’absence de DE. L’analyse de régression confirme que la DE prédit la majeure partie de la variance dans la souffrance psychologique. Les troubles de la continence prédisent également la souffrance psychologique, mais dans une moindre mesure que la DE. Inversement, les niveaux de handicap et d’indépendance fonctionnelle ne prédisent pas l’apparition de souffrance psychologique chez l’homme blessé médullaire.

Ces résultats intéressants montrent que ce n’est pas tant la lésion elle même qui entraine de la souffrance chez les patients, mais son impact psychologique et sur la vie sexuelle. Ces données confirment celles d’autres études sur l’état de stress post-traumatique et sur les mécanismes de coping qui confirment l’importance relative des caractéristiques psychologiques de l’individu sur la sévérité du handicap. En effet, les personnes paraplégiques de type dépressif ou anxieux, qui utilisent des mécanismes de coping dysfonctionnels comme l’abus de substances, ou qui possèdent « un locus de contrôle externe » (c’est à dire, se reposent plus sur des éléments extérieurs que sur eux-mêmes et leurs propres capacités pour expliquer et surmonter leurs problèmes: voir dans ce même numéro un développement à propos des aspects comportementaux de la douleur chronique, dans les compte-rendus du congrès de l’ISSWSH) sont plus à risque de stress post traumatique et de dépression que les individus tétraplégiques qui ont pourtant un handicap plus sévère.

Les résultats de l’étude de Barbonetti et collaborateurs (2011) appuient donc l’importance prépondérante du bien être psychologique de l’individu sur la sévérité elle-même du handicap, et soulignent combien les troubles sexuels chez l’homme blessé médullaire dépassent le simple problème de la mécanique sexuelle. Au delà du trouble érectile, qui peut être traité notamment par des médicaments, la DE touche l’individu dans son ensemble et a un retentissement sur son niveau de souffrance psychologique. Les résultats confirment l’importance ultime de la sexualité dans l’ajustement post lésionnel du patient.

Si beaucoup d’études se sont penchées à ce jour sur la sexualité de l’homme et la femme blessés médullaires, les milieux de réadaptation restent encore très timides pour donner un accès à la prise en charge adaptée des dysfonctions sexuelles. Au delà des médicaments, l’article de Barbonetti et collaborateurs (2011) souligne l’importance d’investir dans un traitement plus large des dysfonctions sexuelles chez les patients blessés médullaires pour assurer leur bien être même psychologique.