Y a-t-il un lien entre le Syndrome des Jambes Sans Repos et la Dysfonction Erectile ?

Analyse par Dr Gilbert Bou Jaoudé, Lille, France

D’après l’article de Gao X, Schwarzschild MA, O’Reilly EJ, Wang H, Ascherio A  Restless legs syndrome and erectile dysfunction. Sleep.2010 ;33 :75-9.

Le Syndrome des Jambes Sans Repos (SJSR) et la Dysfonction Erectile (DE) pourraient  avoir un lien au moins clinique et peut être physiopathologique. En tout cas, c’est ce que suggèrent les résultats de cette étude récente publiée dans la revue Sleep.  Il s’agit d’une analyse issue de la Health Professional Follow-up Study (HPFS) dans laquelle des professionnels de santé américains (dentistes, opticiens, ostéopathes, podologues, pharmaciens et vétérinaires) âgés de 40 à 75 ans ont accepté de compléter des questionnaires tous les deux ans depuis 1986.

Cette analyse concerne 23 119 hommes qui ont complétés les questionnaires relatifs au SJSR, et qui n’avaient ni diabète ( pour éviter de confondre les symptômes d’une éventuelle neuropathie diabétique des membres inférieure avec ceux d’un SJSR), ni arthralgies (les patients souffrant d’arthrite ou d’arthrose des membres inférieurs pouvant parfois exprimer des symptômes proches de ceux du SJSR). Parmi eux, 948 (4.1 %)  réunissaient les critères du SJSR avec 5 épisodes mensuels ou plus. L’analyse de ces questionnaires a également permis de récolter les informations sur d’éventuels facteurs associés au SJSR (âge, IMC, traitements médicamenteux, niveau d’anxiété, maladie chronique associée…)

Quant à la DE, elle a été évaluée grâce à une question, posée aux participants entre 2000 et 2004, concernant la capacité à obtenir ou maintenir une érection. Les réponses « faible » et « très faible » ont été considérées par les auteurs comme correspondant à une DE.

Résultats

  • Les hommes avec SJSR avaient une prévalence de DE plus élevée  que ceux sans SJSR
  • En 2004, 52.9 % des hommes avec SJSR avaient une DE contre 40.3 % de ceux sans SJSR (OR ajusté à l’âge, 1.47)
  • Cette association entre SJSR et DE était indépendante de l’âge, de l’IMC, de l’utilisation d’antidépresseurs et de l’anxiété
  • Un autre résultat important de cette étude fût de constater que le risque de DE était proportionnel à la sévérité du SJSR. En effet, les hommes présentant une fréquence des symptômes du SJSR comprise entre 5 et 14 épisodes mensuels avaient un risque de DE 1.22 fois plus élevé que ceux sans SJSR tandis ce risque était de 1.95 pour ceux ayant une fréquence des symptômes supérieure à 14 épisodes mensuels.
  • Cette association entre fréquence des symptômes du SJSR et risque de DE n’était pas modifiée  après ajustement en fonction des  facteurs de risque (âge, tabac, IMC, antécédents cardiovasculaires, anxiété, traitement antidépresseur…), ni après inclusion dans l’analyse des diabétiques ou des sujets avec arthralgies. Enfin, cette association était également retrouvée après exclusion des hommes Parkinsoniens (la maladie de Parkinson étant associée comme le SJSR à un déficit en dopamine cf. commentaires ci dessous)

Commentaires

Le SJSR est caractérisé par des dysesthésies des membres inférieurs (fourmillements, picotements, démangeaisons, brûlures, impression de courant électrique…) et surtout par un besoin irrésistible (compulsif) de bouger les jambes. L’ensemble de ces symptômes s’aggravant la nuit, le SJSR est associé à une altération de la qualité du sommeil, des activités quotidiennes et plus globalement de la qualité de vie générale. Il toucherait 5 à 15 % de la population adulte.

Cette étude est l’une des premières à s’intéresser à la relation qui pourrait exister entre SJSR et DE. Malgré ses limites (diagnostic de la DE par une seule question et non par un questionnaire validé comme l’IIEF, étude transversale et non longitudinale…), elle a le mérite d’objectiver la probabilité  d’une telle association au moins sur le plan clinique. Elle suggère également que  plus le SJSR est sévère, plus le risque de DE est élevé.

Quant aux mécanismes pouvant expliquer ce lien entre le SJSR et la DE, ils restent pour le moment incertains. Les auteurs proposent deux hypothèses :

  • Un déficit dopaminergique dans le système nerveux central pourrait être, au moins partiellement, à l’origine de ces deux entités. On connaît le rôle stimulant ou au moins facilitant de la dopamine sur la fonction sexuelle.
  • les troubles du sommeil (en particulier les apnées du sommeil), fréquents dans le SJSR, pourraient affecter la fonction sexuelle

Mais la méthodologie de cette étude ne permet pas de déterminer si c’est le SJSR qui est à l’origine de la DE ou l’inverse. Ni de préciser si les deux entités pourraient avoir les mêmes déterminants physiopathologiques.  Il sera intéressant d’approfondir nos connaissances à ce sujet dans de  futures études, particulièrement prospectives et longitudinales .

Quoiqu’il en soit,  dans l’état actuel de nos connaissances,  il est trop tôt pour élaborer des stratégies thérapeutiques communes au SJSR et à la DE. Particulièrement nous ne savons pas si les nouvelles molécules actives au niveau central sur le SJSR (ropinirole, pramipexole) améliorent la DE. Il nous faudra cependant penser à la possibilité d’une DE associée en cas de SJSR d’intensité moyenne à sévère.

Enfin, cette étude soulève une dernière question : qu’en est-il de la fonction sexuelle des femmes souffrant de SJSR ? Est-elle également perturbée ? Les seuls éléments de réponse dont nous disposons pour le moment sont les constatations récentes du Pr Waldinger, rapportées dans le n°3 de notre Bulletin Electronique,  sur l’association fréquente du SJSR et du Syndrome d’Excitation  Génitale  Persistante.