Les fuites caverno-veineuses : nouvel horizon pour la prise en charge des troubles de l’érection

Article par Pr. Eric Allaire

Disparue des radars de la médecine depuis la mise sur le marché du Viagra en 1998, la prise en charge des fuites caverno-veineuses (FCV) va-t-elle transformer plus globalement celle des troubles de l’érection ?

D’abord deux rappels :
⁃ les FCV sont une maladie dans laquelle le sang apporté par les artères ne peut être retenu dans les corps caverneux, ce qui empêche de constituer ou maintenir une érection ferme (1).
⁃ il s’agit probablement de la cause la plus fréquente d’échec des traitements médicamenteux des dysfonctions érectiles (2), y compris des injections intra-caverneuses.

Bien que l’épidémiologie soit imprécise, il pourrait s’agir de 900 000 de hommes en France, 4,4 millions aux États-Unis. Un à 2 % des hommes de moins de 25 ans pourraient en être affectés (3-5), population invisible des médecins auxquels ils ne s’adressent généralement pas. Un patient sur cinq que nous opérons dans notre centre a eu des idées de suicide, en raison de ses troubles de l’érection provoqués par les FCV. Le délai moyen entre le début des symptômes et la date de la chirurgie est de 16 ans.

Soyons clairs, la diffusion de la prise en charge des FCV nécessitera de changer bien des comportements médicaux :

  • Tout d’abord, la pratique d’un bilan étiologique pour toute dysfonction érectile dans une perspective bio psycho sociale incluant les facteurs d’organicité, les facteurs psychologiques, relationnels, sexuels et environnementaux au sens large (6). On ne peut pas soigner un symptôme si l’on n’en connaît pas la cause. Ce précepte va de soi dans l’ensemble de l’exercice de la médecine. Il doit redevenir une règle pour les troubles de l’érection, comme il l’était avant la mise sur le marché du Viagra,

– D’autre part, le résultat de toute intervention pour FCV doit être évalué trois mois après, par une échographie Doppler du pénis avec test pharmacologique. De fait, il faut trois mois pour que s’opère le rééquilibrage du drainage veineux du pénis. Sans cette évaluation des procédures, les patients seront livrés à tous les appétits, aucun progrès significatif ne sera fait, et nous risquons de revoir le traitement des FCV retomber dans le discrédit. Cette rigueur nous a permis de démontrer un taux de succès de 70 à 80 % en associant chirurgie ouverte et embolisation combinées (6), maintenant validé pour 171 patients (publications à venir),

– Enfin, une approche pluridisciplinaire doit encadrer cette activité, diagnostique et thérapeutique, et pour ce dernier aspect, une prise en charge psychologique et sexologique, particulièrement pour les patients qui n’ont jamais connu de sexualité partagée.

La meilleure stratégie est certainement de limiter cette prise en charge à des centres pilotes, avec une charte d’évaluation pré-, per- et post-operatoire.

Au bout de cet effort indispensable, les perspectives sont considérables, bien au-delà – et ce serait en soi un apport considérable – des patients handicapés par des FCV.
D’une part il sera possible d’élargir la formation de tous les médecins à la prise en charge des troubles de l’érection, au-delà de la prescription de la petite pilule bleue. L’enjeu est la santé sexuelle et mentale des patients dont nous avons la responsabilité.
D’autre-part, la généralisation du bilan étiologique permettra de redéployer la pose des implants péniens en France, restreinte à 800 actes, lorsque l’Allemagne en effectue 20 000 par an. Seule la certitude étiologique permettra d’implanter sereinement, et de répondre aux besoins d’une population qui n’est certainement pas satisfaite.

La renaissance encadrée du traitement des fuites de caverno-veineuses est l’occasion d’améliorer plus largement la prise en charge des troubles de l’érection, toutes étiologies confondues. Parce qu’elle remet au centre le bilan étiologique des troubles de l’érection.

Je n’ai que deux mots : au travail !

Eric Allaire,
Membre du bureau de la SFMS
Membre de l’Académie nationale de chirurgie
Professeur de chirurgie vasculaire
CETI, hôpital privé Geoffroy Saint-Hilaire, 75005 Paris, France

 

 

 

Bibliographie

 

  1. Hsu, G.L., et al., Penile veins are the principal component in erectile rigidity: a study of penile venous stripping on defrosted human cadavers. J Androl, 2012. 33(6): p. 1176-85). 

 

  1. Wespes, E., A. Rammal, and C. Garbar, Sildenafil non-responders: haemodynamic and morphometric studies. Eur Urol, 2005. 48(1): p. 136-9; discussion 139).

 

  1. Capogrosso, P., et al., One patient out of four with newly diagnosed erectile dysfunction is a young man–worrisome picture from the everyday clinical practice. J Sex Med, 2013. 10(7): p. 1833-41)( 4)

 

  1. Karadeniz, T., et al., Erectile dysfunction under age 40: etiology and role of contributing factors. ScientificWorldJournal, 2004. 4 Suppl 1: p. 171-4)(5)

 

  1. Tal, R., et al., Vasculogenic erectile dysfunction in teenagers: a 5-year multi-institutional experience. BJU Int, 2009. 103(5): p. 646-50).
  2. Hatzichristou, Dimitris, et al. « Diagnosing sexual dysfunction in men and women: sexual history taking and the role of symptom scales and questionnaires. » The journal of sexual medicine13.8 (2016): 1166-1182.

 

  1. Allaire, E., et al., Erectile Dysfunction Resistant to Medical Treatment Caused by Cavernovenous Leakage: An Innovative Surgical Approach Combining Pre-operative Work Up, Embolisation, and Open Surgery. Eur J Vasc Endovasc Surg, 2021. 61(3): p. 510-517).